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Gros sous

Fraude fiscale : Darmanin affiche sa satisfaction, les agents du fisc s'inquiètent

Le ministre de l'Action et des Comptes publics pointe des recouvrements en hausse, liés notamment à de nouvelles procédures mises en oeuvre il y a un an. Pendant ce temps, les contrôleurs fiscaux s'alarment de la baisse de leurs effectifs et des conséquences sur leurs enquêtes.
par Franck Bouaziz
publié le 24 octobre 2019 à 10h03

Ni gâteau d'anniversaire ni bougies, comme l'a regretté la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. En revanche, un Gérald Darmanin tout sourire pour évoquer les résultats de la lutte contre la fraude fiscale, un an après l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi renforçant les pouvoirs des agents des impôts. Au cours des neuf derniers mois, les encaissements liés à des redressements fiscaux ont augmenté de 40%, passant de 4 à 5,6 milliards d'euros. Un chiffre qui s'explique notamment par la transaction passée entre la justice et Google, qui a accepté de payer une addition de 500 millions d'euros pour éviter de se retrouver sur le banc des prévenus devant un tribunal correctionnel. Vincent Drezet, secrétaire national du syndicat Solidaires finances, nuance toutefois ce résultat : «A ce rythme-là, il n'est pas dit que nous arrivions à un résultat équivalent à 2018. Les redressements encaissés ont atteint 9,4 milliards d'euros selon le rapport d'activité de la Direction générale des finances publiques.»

Monopole

Parmi les nouveaux outils au service du fisc, outre les écoutes et autres filatures, figurent la transaction pénale qui répond au doux nom de Convention judiciaire d’intérêt privé. Jusqu’à présent, ce deal permettant d’éviter un procès retentissant restait réservé aux particuliers. Il a été étendu aux entreprises. La société de conseils en investissements Carmignac en a profité et réglé une addition de 30 millions d’euros pour mettre fin aux poursuites dont elle faisait l’objet.

Si le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, et Nicole Belloubet ont tenu à présenter ces résultats ensemble, c'est bien pour montrer que le fisc et la chancellerie ne se regardent plus en chiens de faïence. Durant de nombreuses années, les deux ministères étaient brouillés autour du «verrou de Bercy», un dispositif sans équivalent qui réservait au fisc le monopole des poursuites, au nez et à la barbe de la justice. Désormais pour toutes les fraudes d'un montant supérieur à 100 000 euros, Bercy est obligé de transmettre le dossier au parquet national financier, lequel peut ensuite lancer une enquête judiciaire. Sur la base de ce nouvel accord, 587 dossiers fiscaux ont été transmis à la justice dont des «affaires liées aux Panama papers» – ces documents issus d'une fuite d'un cabinet d'avocat spécialisé dans les montages fiscaux installé en Amérique centrale.

«La douille»

Signe qu’en matière fiscale les vieilles recettes fonctionnent toujours, les «informateurs» interdits de séjour pendant une dizaine d’années sont de retour et rémunérés sur les prises. L’an dernier, quatre d’entre eux ont permis au fisc de récupérer 100 millions d’euros. Bercy se refuse néanmoins à en dire plus sur la rémunération de ces informateurs dont on sait seulement que leur gain est proportionnel au montant du redressement.

Ces résultats positifs ne peuvent cependant occulter une grogne montante parmi les agents du fisc. Ils pointent une baisse de 12% du nombre des contrôleurs fiscaux entre 2012 et 2016. Ensuite une note de service diffusée cet été et appelant à des contrôles fiscaux apaisés a visiblement été mal vécue dans les services. Un ressentiment renforcé par l'échange entre Emmanuel Macron et des chefs d'entreprises durant le forum annuel de la banque BPI France : «Vous pouvez le dire de ma part quand quelqu'un arrive et pour la première fois vous met la douille, [quand il] vous dit: "Je vous mets tout de suite les pénalités plein pot", vous pouvez lui dire: "J'ai vu le président de la République et il nous a dit qu'il y a le droit à l'erreur." S'ils ne sont pas au courant vous m'écrivez et ce sera corrigé.» Une dernière «cartouche» antifraude fiscale en préparation à Bercy pourrait toutefois rapprocher les positions et hérisser les avocats fiscalistes. Un dispositif qui doit faire l'objet d'une ordonnance dans les semaines à venir prévoit que les montages d'optimisation fiscale élaborés pour les entreprises devront au préalable être soumis à Bercy. Certaines opérations acrobatiques pourraient donc à l'avenir être interdites avant d'être mises en œuvre.

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